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Crise du coronavirus interview de Marie-Frédérique Bacqué

Santé | Crise du coronavirus
Marie-Frédérique Bacqué, psychologue :
Les comportements anxieux sont fortement « contagieux »


Professeure de psychopathologie clinique à l’Université de Strasbourg
Directrice d’unité de recherche et rédactrice en chef des revues Études sur la Mort et Psycho-Oncologie.

Marie-Frédérique Bacqué, contactée par l’AFPEN nous a autorisé à publier ici l’article paru dans les Dernière Nouvelles d’Alsace du 13 mars 2013. Nous la remercions.
Entretien et propos recueillis par Jean-François Clerc Journaliste.


Jean-François Clerc – J.F. C. : Pourquoi la peur d’être contaminé par le Covid-19 est normale, alors que l’angoisse, qui peut aller jusqu’à la psychose, est irrationnelle.

Marie-Frédérique Bacqué – M.F. B
. : « L’isolement qui est nécessaire dans le cas d’une contamination très active peut conduire à une forme de psychose ».

J.F. C. : Pourquoi avoir plus peur du Coronavirus que de la grippe saisonnière qui pourtant provoque chaque année un nombre élevé de morts ?

M.F. B : « L’absence de panique pour la grippe saisonnière est liée au fait qu’il y a des éléments de certitude. Chaque année, elle revient. Malheureusement, il y a des éléments cachés : la grippe touche les personnes âgées et l’on considère comme normal qu’elle comporte un risque mortel plus élevé pour des personnes qui ont vécu leur vie. C’est quelque chose qui est pensé, mais n’est pas dit.
Pour le Covid-19, il y a plus d’incertitudes : la dimension collective et planétaire par exemple. Par rapport aux autres épidémies du passé, peste, choléra, grippe espagnole, grippe aviaire… il y a une autre dimension supplémentaire, une conjonction avec les peurs actuelles liées à l’anthropocène, avec les menaces qui pèsent sur notre survie, sur notre planète. Il existe un fantasme de disparition de toutes les espèces. Forcément, on se sent plus inquiet ».

J.F. C : Vous distinguez la peur de l’angoisse ?

M.F. B : « La peur d’être contaminé est normale, elle est rationnelle. Chacun craint de développer la maladie et le risque de mourir s’est accru. Il y a toujours un refus de la mort, alors que la mort est l’événement le plus certain, le phénomène le plus naturel qui puisse nous arriver.

L’angoisse est plus complexe, c’est la peur irrationnelle. Alors qu’il est possible de se protéger en prenant des mesures relativement simples, l’individu anticipe le pire de façon disproportionnée. Atteint par la maladie, le risque de mourir devient certain. Cette angoisse touche certaines personnes, jusqu’au stade de ce qu’on appelle une « psychose de l’épidémie », c’est-à-dire une peur irrationnelle, une angoisse extrême de la contamination qui dépasserait les explications du monde scientifique et la peur raisonnée de l’épidémie ».

« La crainte d’être contaminé par exemple en croisant le regard d’une personne soupçonnée d’être porteuse du virus est typique ».

J.F. C. : Mais tous les gens ne sont pas égaux face à la peur de la contamination ?

M.F. B : « La peur de la contamination touche particulièrement ceux qui ressentent consciemment ou inconsciemment leur identité comme plus fragile. Ceux dont « l’enveloppe » ou la « bulle de sécurité » est poreuse au fantasme. Chez des personnes qui présentent des troubles anxieux, on retrouve cette crainte d’être envahi par quelque chose de caché, de « malin ».
Ces personnes qui ont plus d’angoisses que d’autres, peuvent développer des troubles anxieux qui se traduisent d’abord par des comportements d’isolement. Elles peuvent aussi procéder à des lavages répétés, à des tentatives de purification qui resteront insatisfaisantes parce que les « agents pathogènes » resteront invisibles ou introuvables.

L’angoisse peut dans les cas extrêmes envahir la pensée. La crainte d’être contaminé par exemple en croisant le regard d’une personne soupçonnée d’être porteuse du virus est typique. Ces comportements anxieux sont fortement « contagieux », d’un point de vue collectif et peuvent se transmettre sous la forme d’une « peur collective » appelée familièrement « psychose de l’épidémie ».
La transmission de la maladie joue un rôle essentiel dans l’angoisse, le danger c’est l’autre ?

« L’espèce humaine a une capacité d’identification à l’autre qui est vitale. Nous sommes une espèce grégaire, nous vivons en groupe et par empathie, par altruisme, nous nous soutenons les uns les autres. Mais par ce mécanisme d’identification, l’être humain se représente le fait d’être malade ou mourant. Lorsqu’on accompagne un malade, on peut se sentir envahi par la peur de le devenir, par l’angoisse d’être comme lui. Les mécanismes d’identification jouent là dans le mauvais sens, car ils augmentent la peur et l’angoisse.

Autre phénomène typiquement humain, la pensée « projective » qui fait penser que des causes inconnues de danger résident dans l’environnement et dans autrui. Ce raisonnement naturel et protecteur existe chez nous depuis les débuts de l’humanité. Mais dans la psychose de la contamination, il y a des racines beaucoup plus inquiétantes.

L’autre et tout ce qui est différent en lui deviennent dangereux et il faut s’en prémunir, voire le faire disparaître comme dans le cas du racisme ou de l’antisémitisme. Les germes de la peur de la contamination sont tout simplement les racines de la peur d’autrui. C’est une forme de suspicion et de méfiance qui peut entraîner un mécanisme paranoïaque de destruction de l’autre ».

Une forme de suspicion et de méfiance qui peut entraîner un mécanisme paranoïaque de destruction de l’autre

J.F. C.
Quelles recommandations pouvez-vous faire contre la peur démesurée ?

M.F. B :
« L’excès de crainte conduit l’individu ou le groupe d’individus à se protéger d’un risque caché.
Dans le cas de l’épidémie du coronavirus, comme souvent, la vérité se trouve dans un comportement médian. L’identification du virus et des signes de maladie qu’il entraîne doivent être transmis à la population de façon transparente. Des éléments plus psychologiques peuvent aussi faire l’objet d’information.

Il ne suffit pas de communiquer sur les aspects physiques, médicaux, biologiques, mais on peut aussi communiquer sur les comportements et les pensées. Il y a des risques de « psychose de la contamination ». Ils peuvent être limités par l’information et par des mesures de solidarité. L’isolement qui est nécessaire dans le cas d’une contamination très active peut conduire à cette forme de psychose.

On peut vivre la crise de manière saine, sans créer des conditions de guerre à la promiscuité et à la pensée, grâce à une information claire. Des forums officiels d’échange d’information et de discussion limiteraient peut-être les excès d’angoisse et la constitution de groupes à l’origine de peurs exagérées et irrationnelles ».

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