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Quelques éléments de réponse aux tentatives et tentations réductionnistes actuelles dans la prise en charge des enfants présentant des troubles des apprentissages.

Quelques éléments de réponse aux tentatives et tentations réductionnistes actuelles dans la prise en charge des enfants présentant des troubles des apprentissages. Frédérik Guinard La lettre de la FFDys envoyée* le 15 mai 2013 à l’AFPEN est intéressante car, malgré la référence aux activités scientifiques de l’École Normale Supérieure et de la Psychiatrie et la Psychologie fondées sur des preuves, cette association continue de présenter la dyslexie comme un trouble « inné » (voir dans la présentation de leur site) alors que cette catégorisation est réfutée et abandonnée depuis longtemps par les recherches actuelles en Neuropsychologie qui considèrent très sérieusement les effets de l’environnement sur les spécificités génétiques d’un individu. Ces présentations simplistes se réclamant de la scientificité ignorent manifestement l’existence de « travaux menés sur d’autres espèces qui ont montré que des traits fortement héritables ou héréditaires sont particulièrement sensibles aux effets de l’environnement » (Dworczak, 2004, p.217). Plus encore, les chercheurs (en particulier les travaux de Franck Ramus 2005 et Stanislas Dehaene 2007) qui s’intéressent aux mécanismes complexes du développement cognitif élaborent aujourd’hui des modèles où « contraintes génétiques et facteurs environnementaux sont intimement imbriqués » (Dworczak, 2004, p.17) et s’intéressent aux premières interactions bébé-environnement et au contexte d’émergences de ces troubles de la cognition et de la construction des savoirs (Findji, Ruel, Pêcheux, 1999, 347-360). Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que les chercheurs auxquels se réfèrent la FFDys, doivent régulièrement préciser et insister dans leur communication sur le fait que les sciences cognitives ne nient pas les effets de l’environnement sur la construction et le développement cognitif ! (Écouter à ce propos la conférence à l’Institut d’Etudes de la Cognition de Jacques Van Rillaer, J. 2013) Ce qui prouve (puisqu’il est question ici de démarches scientifiques fondées sur des « preuves » restons dans ce champ lexical), que ces associations se réfèrent à des recherches scientifiques dont ils ne connaissent pas le contenu. En réalité, pour ces associations, il est moins question de disqualifier la Psychanalyse sur le plan de sa méthode d’approche des troubles cognitifs, auquel cas il serait sans-doute intéressant de questionner certaines pratiques, que de discréditer l’approche multidimensionnelle que son épistémologie implique, c’est-à-dire incluant les données des recherches des Neurosciences et l’hypothèse d’une épigenèse interactionnelle. L’enjeu est d’ôter toute référence à ces effets de l’environnement sur le développement neurologique dans le discours sur ces troubles. Malheureusement, les approches « neuro-développementales » sérieuses lorsqu’on les parcourt attentivement n’excluent pas le rôle de l’environnement (au sens large) dans le développement de ces troubles. Ce qui est exclu de la définition des troubles spécifiques des apprentissages, c’est une causalité directe de traitement carençant de l’environnement premier du nourrisson ; mais les influences positives ou négatives de cet environnement maternant et éduquant sur une spécificité génétique prédisposant à la dyslexie ne sont actuellement plus réfutées. Côté Psychanalyse, les approches portées par Bernard Golse, Serge Boimare, Maurice Berger, le Clinap (Michèle Emmanuelli, Jean-Yves Chagnon) n’excluent pas de leur travaux la question du substrat neuro-anatomique de ces troubles, mais ils ont apparemment le tort de s’intéresser à l’impact de ces troubles sur les enfants, leurs souffrances et angoisses qui viendront secondairement entraver leurs potentiels d’apprentissage (phénomènes décrits aussi par la neuropsychologie). C’est-à-dire qu’au contraire de la psychiatrie médicalisée, la question de l’étiologie n’obsède pas les cliniciens au point d’en faire une idéologie (je mets de côté l’approche basée exclusivement sur « l’inconscient structuré comme un langage » qui malheureusement est un excellent contre-exemple à ceux qui fustigent la psychanalyse pour son dogmatisme), par contre les questions de l’accompagnement de ces sujets et de leur prise en charge continuent à être la priorité de ces cliniciens. Il faut rappeler que ces professionnels passent des heures aux côtés de ces enfants troublés dans leurs apprentissages et de leur famille, et ceci depuis parfois un grand nombre d’années. C’est donc une pratique soignante sérieuse auprès de milliers d’enfants (un psychologue scolaire peut en voir 400 par an !) qui est aussi concerné par ces attaques contre le modèle psychanalytique. C’est oublier que lorsqu’un professionnel est soumis à une pratique aussi exigeante auprès d’un public de sujets en difficulté, il doit toujours se demander quelles sont les approches qui offrent le plus de perspectives d’évolution et d’amélioration à ceux-ci. Dernière remarque : les « dys » sont pris en charge par les psychologues tout champ disciplinaires confondus depuis le début du XXème siècle, ils ont même contribué grandement aux repérages de ces troubles et à leurs définitions. Les associations de parents se trompent de combat en accusant les psychologues se référant à l’approche psychodynamique de « passéisme » ou de « dogmatisme ». Ils doivent être informé des risques réels que comportent cette tendance réductionniste qu’ils prônent à leurs préjudices, car « simplifier » le fonctionnement humain va toujours dans le sens d’une radicalisation des moyens de prise en charge des patients et donc d’une perte importante d’efficacité des traitements mis en place. Les praticiens pédagogues, psychologues, orthophonistes pointent de plus en plus clairement l’inefficacité de la prise en charge d’enfants « dys » lors que leur trouble est appréhendé uniquement sur le versant instrumental. « Malgré la pertinence de cette démarche, il est fréquent que la rééducation orthophonique à elle seule ne suffise pas. Ce constat est d’ailleurs celui des orthophonistes eux-mêmes qui s’interrogent souvent sur l’absence ou sur la faiblesse de l’évolution du langage de l’enfant et notamment sur son incapacité à intégrer les progrès syntaxiques, articulatoires ou phonologiques développés dans le cadre des séances d’orthophonie, comme il s’agissait d’acquisitions essentiellement mécaniques » (Dupuis-Gauthier C., 2006, p.398) Le progrès concernant la prise en charge de ces enfants consiste donc en l’aménagement de réponses thérapeutiques qui consistent une approche sur de multiples versants : psychopédagogique, psychodynamique (en particulier pour traiter la question des troubles de la personnalité qui souvent accompagnent les troubles des apprentissages) et orthophoniques, et ceci avec un souci important que les parents d’enfants « dys » soient inclus et intégrés dans le projet de soin. Non pas comme le simple « signataire » de projets de réparation de leur enfant, mais comme des partenaires qui participent au redéploiement des capacités de communication et de maitrise du langage écrit et oral de leur enfant. Les véritables pas en arrière sont donc réalisés quand on supprime des postes d’enseignants spécialisés dans les RASED et dans les SESSAD qui sont pourtant des services ressources d’accompagnement spécialisé de ces problématiques. Ces suppressions de poste devraient focaliser l’attention des fédérations davantage que des controverses idéologiques qui n’ont plus de fondement scientifique sérieux : car l’approche multidimensionnelle est aujourd’hui revendiquée par tous les travaux qu’ils soient dans le champ des neurosciences ou de la psychologie psychodynamique et par tous les professionnels qui sont suffisamment à l’écoute de la complexité des nombreuses situations qu’ils accompagnent. Pour une démarche soi-disant « scientifique » la complexité ne devrait pas se constituer comme repoussoir, nous avons nécessairement un rôle à jouer en tant que parents à l’évolution et au développement psycho-cognitif et affectif de notre enfant, ce serait une erreur importante de penser que les facultés intellectuelles et instrumentales d’un enfant se développent sans un jeu important d’interaction et d’influences diverses. En tant que professionnels, nous avons l’obligation éthique et déontologique de nous doter des outils théoriques adéquat pour penser et accompagner cette complexité… mais aussi de celle de lutter contre toutes tentatives de réductionnisme qui viseraient à restreindre le champ de nos connaissances actuelles à des logiques comptables et inhumaines où il s’agit de traiter à bas prix les troubles d’apprentissage importants que présentent certains de nos enfants. Pour terminer, il faut rappeler que le « soin » n’est pas forcément une question de bon sens et que les approches neuro-développementales peuvent aussi heurter les représentations éducatives parentales lorsqu’elles indiquent par exemple qu’il ne faut pas s’acharner à surajouter des devoirs ou des soutiens scolaires à des enfants qui sont souvent plus fatigables que les autres, car fournissant davantage d’efforts. Il n’y a pas non plus que les psychologues cliniciens qui s’intéressent aux conditions affectives (notamment la question du plaisir pris dans la relation d’apprentissage) des expériences d’apprentissage, les chercheurs en sciences cognitives affirment aussi l’importance et le rôle des émotions et de la motivation dans le déploiement des facultés intellectuelles et attentionnelles. Ce n’est donc pas une lubie essentiellement portée par les psychanalystes qui consisterait à accabler l’environnement de l’enfant (parce que celui-ci est nécessairement en relation ou en interaction avec!) de tous les maux que rencontrent celui-ci… c’est une nécessité lorsqu’il s’agit de ne pas réduire l’enfant qui le présente à son trouble. Une nécessité qui permet d’éviter les situations inextricables dans lesquelles se retrouvent parfois une famille (aimante et bienveillante) à s’acharner contre le trouble instrumental sans prendre en compte les effets secondaires de cet acharnement sur le terrain d’expression de ce trouble : leur enfant. C’est parce qu’il est souhaitable que de telles situations ne se produisent pas, qu’un soutien et un suivi familial est intéressant en association avec un soin plus spécifique. Ce serait nier le besoin de parler de ces familles des difficultés que rencontrent et qu’elles rencontrent avec leur enfant, ce serait désavouer les capacités de raisonnement et d’amour de celles-ci, que de leur proposer des recettes toutes faites, « prêtes à l’emploi » dans l’inadéquation totale des besoins de leur enfant et de ces potentiels à un moment précis de son développement et de son individuation. Frédérik Guinard Psychologue clinicien, Doctorant au CRPPC de l’Université Lumière Lyon2. Sources : Brun A., Guinard F. (2015). « L’approche psychodynamique des troubles spécifiques des apprentissages », in Nouvelle Revue de Psychosociologie, n°20, Toulouse, Erès. Dehaene S. (2007). Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007. Chagnon J.Y. (sous la dir. de). (2014). Approche clinique des troubles expérimentaux, Paris, Dunod. Dehaene Stanislas : « On observe souvent un déni de la réalité scientifique » LE MONDE 03.02.2014 Diatkine, R. 1972. « Conditions psychologiques nécessaires à l’apprentissage de la lecture », in Stambak, M. ; Vial, M. ; Diatkine, R. ; Plaisance, E. 1972. La Dyslexie en question. Difficultés et échec d’apprentissage de la langue écrite, Paris, Armand Colin, pp.37-47. Dupuis-Gauthier C. (2006). « L’enfant dysphasique : un sujet en situation clinique. A propos de la prise en charge psychothérapeutique », in Neuropsychologie de l’enfance et de l’adolescence, 44, pp. 476-488. Dworczak, F. (2004). Neurosciences de l’éducation, cerveau et apprentissage, Paris, L’Harmattan. Findji, F. ; Ruel, J. ; Pêcheux, M.-G. 1999. « Étayage de l’attention du bébé par la mère », in Gilly, M. ; Roux, J.-P. ; Trognon, A. (sous la direction de). 1999. Apprendre dans l’interaction. Analyse des médiations sémiotiques, Nancy, Presses universitaires de Nancy et Aix, Publications de l’université de Provence, 1999, pp.347-360. Georgieff, N. « À propos des relations entre psychanalyse et neurosciences aujourd’hui », Journal de la psychanalyse de l’enfant, Paris, PUF, 1/2013, 3, pp.19-28 Georgieff, N. ; Sperenza, M., 2013. Psychopathologie de l’intersubjectivité, Paris, Elsevier-Masson. Guinard, F. 2013. « Face à la souffrance dans la relation d’apprentissage : les groupes à médiation », Journal des psychologues, Paris, n° 306 – Avril 2013, pp.36-41. Habib, M. (2004). « Bases neurobiologiques de la dyslexie », in Metz-Lutz, M.N. ; Demont, E. ; Seegmuller C. ; Agostini, M. ; De Bruneau N. 2004. Développement cognitif et troubles des apprentissages : évaluer, comprendre, rééduquer et prendre en charge, Marseille, Solal, pp.219-244. Hudelot, C. (1999). « Étayage langagier de l’enseignant dans le dialogue maître-élève », in Gilly, M. ; Roux, J.-P. ; Trognon, A. (sous la direction de). 1999. Apprendre dans l’interaction. Analyse des médiations sémiotiques, Nancy, Presses universitaires de Nancy et Aix, Publications de l’université de Provence, pp.219-240. Inserm (dir.). Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : bilan des données scientifiques. Rapport. Paris : Les éditions Inserm, 2007, XV – 842 p. -(Expertise collective). – http://hdl.handle.net/10608/110 Ramus, F. (2005). « Aux origines cognitives, neurobiologiques et génétiques de la dyslexie », Les troubles de l’apprentissage de la lecture, Les journées de l’Observatoire, Février 2005, ONL, Paris. Van Rillaer, J. 2013. « Faits et légendes des thérapies comportementales et cognitives », Conférence à l’Institut d’Étude de la Cognition de l’École normale supérieure, Paris, 6 avril. Verba, M. (1999). « L’analyse des dynamiques interactives dans la construction des savoirs chez les jeunes enfants », in Gilly, M. ; Roux, J.-P. ; Trognon, A. (sous la direction de). 1999. Apprendre dans l’interaction. Analyse des médiations sémiotiques, Nancy, Presses universitaires de Nancy et Aix, Publications de l’université de Provence, pp.181-200.
*courrier de 5 associations : Collectif Egalited, Autisme France, Fédération Française des Dys, UNAPEI, HyperSupers – TDAH – France. + la réponse de l’AFPEN en téléchargement ci-dessous

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