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6ème journée provençale de la psychologie scolaire

La 6ème journée provençale de la psychologie scolaire aura lieu le 21 Octobre 2006 de 9h à 13h à l’amphi GUYON de la faculté des lettres d’Aix en Provence.

plaquette et bull d’inscription Nous publions ci dessous le texte intégral de l’intervention d’Evelyn Grangon. ce texte reprend une partie déjà publiée dans le Divan Familial n° 12, en 2004. C’est un enfant adopté : L’ENFANT QUI VIENT OU L’ENFANT QUI REVIENT D’AILLEURS ? Evelyn GRANJON Aix 21 octobre 2006. Tout enfant est l’objet d’une adoption symbolique de la part de ses parents. Mais pour l’enfant adopté, cette parenté symbolique est requise d’emblée. Dans notre culture, nous sommes pris dans une trame idéologique où la filiation biologique s’impose, où les liens de sang dominent. Alors que les familles actuelles, recomposées et aux filiations complexes, soulignent l’importance croissante accordée à l’aspect symbolique de toute filiation. Il n’empêche que l’adoption reste une aventure souvent chargée d’angoisse d’abandon et de blessures narcissiques. De quoi est fait le lien adoptif ? Comment se gère la transmission ? Quelle place l’enfant adopté vient-il occuper dans la filiation ? Mais aussi que va devenir la question de l’inconnu des origines ? Face à toutes ces questions, la famille apparaît comme le lieu du travail d’adoption : offrir à cet enfant ‘’né ailleurs’’, attendu, accueilli et aimé, une place dans la trame du groupe familial et une inscription dans la chaîne filiative. C’est à ces conditions qu’il pourra être membre de la famille et devenir sujet singulier. Devenir d’exception dans les grands mythes, prototype symbolique de toute relation thérapeutique, l’adoption continue cependant à nous interroger, bouscule nos repères de parenté, interroge certaines idéologies et questionne la transmission. Et les mécanismes de défense que nous élaborons face à ce malaise risquent de nous faire hésiter entre vérité et mensonge, fantasme et réalité, permis ou interdit. La question qui nous occupe est celle de l’établissement du lien adoptif, sur ce qui le soutend en l’absence du lien biologique. Car si les familles adoptives naissent d’une rupture de la continuité génétique, elles s’inscrivent dans une continuité généalogique, mais celle-ci nécessite une réélaboration imaginaire et fantasmatique intense. En lieu et place de fantasmes originaires construits sur les identifications régressives et primaires à l’occasion de la naissance (en particulier sur le corps de l’enfant), ceux-ci trouvent un étayage sur le généalogique, l’imaginaire, la rêverie. Et ce « contrat d’adoption », contrat narcissique, qui nécessite investissement et temps – et qui n’est pas toujours fait – est indispensable à l’enracinement réciproque, à l’établissement du lien filiatif, nécessaire au développement psychique. Dans ce contrat inconscient sont scellées des attentes narcissiques des parents et de la famille, et la quête filiative et narcissique de l’enfant. Dans ce point de nouage se retrouvent les attentes et les espoirs de chacun, mais aussi les blessures et les failles masquées de la filiation. De la solidité ou de la fragilité de ce « contrat d’adoption » dépendent l’harmonie des relations familiales ou les crises. La TFP offre, dans la situation groupale et les conditions psychanalytiques, la possibilité d’un travail de « dénouage » et de « renouage » des enjeux du lien d’adoption. Après ces quelques repères théoriques, je vous propose une démarche clinique, à partir de rencontres avec des familles en situation de crise et ayant adopté un ou plusieurs enfants. Ces familles viennent nous voir à l’occasion de crises sévères qui souvent interrogent l’adoption. Quelque soit l’âge de l’enfant ou l’événement déclencheur des difficultés actuelles, c’est l’adoption qui est rapidement mise en avant et ce mot apparaît vite comme le ‘’coffre’’ qui tient caché ce qui semble être à l’origine de la crise. Bien sûr, chaque famille amène sa problématique spécifique et ses propres difficultés, et les crises familiales sont toutes différentes. Mais, souvent, associée à la plainte ou à la souffrance, cette phrase tombe : « c’est un enfant adopté… » Beaucoup de choses sont alors dites concernant l’adoption, soit du côté de l’enfant, soit sur la problématique des parents adoptifs, le ‘’choix’’ de l’adoption, ou encore sur la rencontre. Mais que recouvre ce mot ‘’adoption’’ lorsqu’il est mis en avant et répété à l’occasion d’une consultation pour une situation de crise et lorsque l’on sait que toute crise interroge, revisite les liens familiaux ? La situation, le cadre du groupe thérapeutique, ainsi que ‘’l’écoute groupale de la famille’’ que nous offrons en Thérapie Familiale Psychanalytique (TFP) permettent d’avoir accès aux éléments constitutifs et mis en jeu dans les liens familiaux. Cette expérience et cette pratique nous amènent à proposer certaines hypothèses concernant la fonction du mot ‘’adoption’’ (et non sa signification) lorsqu’il est mis en avant à l’occasion d’une demande. L’histoire familiale que j’ai souvent entendue pourrait s’énoncer ainsi : – nous avons adopté cet enfant ; – ce fut un enfant qui nous a comblés, « idéal » et correspondant à notre attente ; – brutalement, tout a changé, on ne le « reconnaît » plus, et la violence de ce changement est incompréhensible. La plupart du temps, sur les raisons de l’adoption, il est clairement dit : – nous ne pouvions pas avoir d’enfant, – ou bien, c’est un choix. L’enfant vient alors occuper une place dans la psyché des parents, répond à leur désir d’enfant et, de cette place qu’il accepte d’occuper, il sollicite à son insu les fantasmes de transmission familiaux, il réveille la dette généalogique qu’il adopte. C’est le ‘’prix’’ de son affiliation dans la chaîne filiative, compris dans le contrat d’adoption. En occupant la place qui lui est offerte, il accepte de s’inscrire dans la suite de ce qui est déjà là et de prendre en charge la « Boite de Pandore » fondatrice des liens familiaux, c’est-à-dire le respect de ce qui est dénié, tu ou caché pour que le lien familial tienne. Pour être adopté, il s’adapte et se conforme aux conditions et aux exigences proposées par les parents : le renoncement à la langue d’origine, l’incroyable rapidité d’intégration, ou encore la ‘’ressemblance’’ à un parent si souvent notée, nous donnent quelques aspects de l’importance et de la force des processus d’identifications alors en jeu. Le « contrat narcissique d’adoption », établi et possible, permet alors aux parents adoptifs de s’engager à être parents, c’est à dire à accompagner, dans la continuité filiative, le grandissement et l’évolution de l’enfant, tant sur le plan éducatif qu’affectif. Que contient ce « contrat d’adoption » ? Quels en sont les termes, les nécessités et les contraintes ? — mais aussi les risques ? Comment en repérer les fragilités, ou apprécier les menaces qui pèsent sur ce contrat ? Tout enfant, quel qu’il soit, a son mystère, sa part d’inconnu ; mais l’enfant qui vient d’ailleurs, l’enfant choisi, ‘’étranger’’, porte les marques de son étrangeté. L’enfant dont les origines sont inconnues et marquées par la différence sollicite particulièrement les fantasmes transgénérationnels familiaux où énigmes et non-sus dominent. Il ‘’figure’’ l’inconnu. Et c’est sur cet attrait réciproque, cette ‘’rencontre de négatifs’’, sur ce mystère des origines, de part et d’autre, que s’établit le contrat d’adoption, que se fonde l’inscription généalogique et que va s’organiser le tissage mythique familial. L’enfant adopté est ainsi, en fait, porteur à son insu d’une part de l’inconnu et de l’inaccessible du transgénérationnel familial. Il re-présente et porte certaines ombres ou silences de l’histoire familiale. Il est la « mémoire de l’oubli » familiale. C’est le prix à payer pour ‘’réussir’’ son affiliation dans la filiation. C’est son rôle, sa fonction phorique dans le groupe familial ; mais il doit ensuite pouvoir s’en dégager. Cette ‘’affiliation-filiative’’ me paraît spécifique du lien d’adoption, et cette hypothèse permet peut-être de comprendre la violence, l’incongruité et l’imprévisibilité des crises d’adolescence de certains enfants adoptés. Car, si, à l’occasion de crises ou de changements, le mystère de l’enfant venu d’ailleurs devient persécuteur ou que le lien filiatif est fragilisé, apparaît alors le risque de réveil, de dévoilement du contenu du pacte fondateur. La reconnaissance de la différence ou de l’étrangeté de l’enfant risque de fragiliser les alliances inconscientes du groupe familial et de révéler les éléments transgénérationnels masqués ou cachés dans celles-ci par les traces de l’origine de l’enfant. La part d’inconnu de l’enfant réveille alors les ombres de l’histoire familiale. L’adolescence, par exemple, peut, dans certains cas, être l’occasion d’interroger le pacte fondateur du lien d’adoption et les contrats qui lient les sujets, mais aussi d’en démasquer le contenu, remettant ainsi sur le chantier du groupe familial des éléments transgénérationnels, jusque là invisibles. Je fais l’hypothèse que cet aspect de la souffrance de la famille est présent dans la demande qui nous est adressée et contenu dans le mot ‘’adoption’’ qui apparaît alors comme une forme, un véritable ‘’contenant de négatif’’, fragilisé ou entre-ouvert par la crise. Que faire de ce matériel ? Comment l’accueillir et favoriser son évolution ? Seul un travail groupal familial permet d’avoir accès à ces formations constitutives et en jeu dans les liens familiaux. C’est le travail de la TFP. Je vous propose de suivre le parcours d’une TFP où , peu à peu, à partir des termes, mots, objets et autres formes ou figures déposés dans l’espace psychique du groupe thérapeutique, s’est effectué un travail de figuration puis de représentation des enjeux cachés dans les liens familiaux. En particulier le mot « adoption » a pu bénéficier d’une décondensation ; puis un travail de mythopoïèse a permis la constitution d’un nouveau contrat d’adoption et la construction d’un nouveau roman familial d’adoption. Je précise que j’ai privilégié certains aspects ou moments du travail thérapeutique parmi la richesse et la complexité qu’offrent les séances. Cette ‘’lecture’’ du matériel laisse de côté d’autres aspects du travail qui a pu se faire durant les presque trois années qu’a duré cette TFP. CLINIQUE La famille T. Cette famille est venue avec une demande de TFP. Les deux enfants de 8 et 9 ans présentaient des troubles identiques et résistants aux prises en charge individuelles engagées : agitation et difficultés scolaires. Il s’agissait donc d’une demande assez banale pour des symptômes fréquents. Lors de notre première rencontre, ils étaient présents tous les quatre et je fus immédiatement frappée par deux choses : – les deux enfants ne se ressemblaient pas du tout, l’un, l’aîné, était blond et clair, la deuxième, la fillette, avait un type extrême-oriental et la peau mate ; – les prénoms des enfants étaient tout à fait inhabituels dans nos régions : Vishnou, garçon de 9 ans et Civaloka, fille de 8 ans. « Un enfant dans le ventre et l’autre dans la tête » Dès l’entrée dans mon bureau, et avant de s’intéresser aux jouets, les enfants ont entrepris une « exploration » de la pièce, remarquant une porte fermée immédiatement appelée « porte secrète », fouillant derrière les rideaux, signalant des « traces » sur les murs qui pourraient être laissées par quelque fantôme… Pendant ce temps, les parents répondent à mes interrogations silencieuses : ils sont les parents biologiques de Vishnou et ont adopté Civaloka, née dans un pays d’Extrême-Orient. Vishnou est né longtemps après leur mariage et Civaloka a été adoptée peu de temps après, à l’âge de 5 mois : « c’est une idée que nous avons eue dès notre mariage » et, complète la mère, « j’ai ainsi porté nos deux enfants en même temps, l’un dans mon ventre et l’autre dans ma tête ». Ils ne parlent pas de la naissance de Vishnou, mais de « l’arrivée des deux enfants ». Ceux-ci ont un an de différence et sont toujours ensemble, ‘’gémellisés’’ y compris dans leurs difficultés ou leurs symptômes, identiques aux yeux des parents. L’agitation est constante, à la maison, à l’école, perturbante et les difficultés scolaires sont essentiellement orthographiques. Ces symptômes semblent mettre en question les qualités parentales, notamment par rapport à l’autorité, et les amènent à s’interroger sur le bien-fondé de leurs choix de vie familiaux. Les parents évoquent leurs professions : ils sont chercheurs et travaillent ensemble, puis ils parlent de difficultés entre eux, de tension et conflits dans le couple. Je perçois une grande détresse chez ces personnes d’un haut niveau intellectuel, pour lesquels l’échec scolaire des enfants est douloureux et porte atteinte à ce qui pourrait être l’expression de l’idéologie familiale : ‘’porter ensemble les deux enfants, un dans le ventre, l’autre dans la tête ». La ‘’gémellisation’’ évoquée à plusieurs reprises ne vient-elle pas tenter d’annuler des différences ? J’ai l’impression que, dans cette famille, il y a une confusion entre naissance et adoption. Je propose une TFP ; je serai seule thérapeute. Avant de parcourir cette thérapie, soulignons quelques points théoriques que suggère notre pratique. C’est un travail psychanalytique et groupal que nous proposons aux familles en souffrance. La mise en groupe de la famille et l’énonciation du projet thérapeutique correspondent à un moment fondateur. La famille et chacun de ses membres sont invités à accepter – ou refuser – l’engagement qu’impose le travail analytique, pour un temps indéterminé, dans un groupe composé de la famille, de ses membres et des psychanalystes. Dans ce ‘’néo-groupe’’ (c’est ainsi que j’ai proposé de l’appeler), et dans un dispositif établi et fixe, chacun est invité à apporter ses pensées, ses rêves, ses émotions, ses souvenirs et ceux de la famille, dans l’associativité du groupe, dans le temps des séances et le respect de la règle d’abstinence (« on ne se verra pas en dehors des séances et on ne vous donnera pas e conseils ») : ceci correspond aux conditions requises pour qu’un processus psychanalytique groupal soit possible. Dans ce groupe, vont pouvoir être déposées et accueillies les formations psychiques inconscientes que les psychés individuelles et familiale ne peuvent intégrer, issues des psychés individuelles, des liens familiaux, et de l’espace psychique spécifique de la famille. Dans cette situation, et à plusieurs niveaux, échanges, partages, communauté et étrangeté se côtoient, se complètent ou s’affrontent, dans une expérience groupale. La spécificité du néo-groupe, par rapport à tout autre groupe thérapeutique, tient à la présence des liens familiaux qui véhiculent des éléments d’origine généalogique. Le néo-groupe permet de mettre en commun et en partage les formations et objets inconscients non refoulés de chacun, noués dans les parties communes et indifférenciées de la famille et qui rencontrent les parties les plus régressées des thérapeutes. Dans ce lien groupal thérapeutique ainsi constitué, chacun est partie prenante et partie prise. C’est sur ce terrain que pourront être déposés, stockés et/ou transformés les éléments de l’inconscient mobilisés et les émotions non encore abordables. C’est sur ce terrain que se construisent les liens transféro/contre-transférentiels, et que s’organise la chaîne associative groupale, objet de notre « écoute analytique ». [cf en particulier E. Granjon 2006] Nous allons parcourir rapidement le début de ce travail, en soulignant quelques moments mettant en rapport l’adoption et les silences transgénérationnels, pour nous arrêter plus longuement, en fin de thérapie, sur une séance. Dès les premières séances, après avoir précisé le cadre et donné les règles habituelles, les enfants sont bruyants et envahissent l’espace de la salle avec des objets entassés, jetés ou laissés en désordre ; des coussins et des avions en papier sillonnent la pièce, les jouets sont épars et les dessins sont des formes peu représentatives ou des mots mal orthographiés. Les parents parlent beaucoup et racontent facilement leur histoire ; ils évoquent ce qu’on pourrait appeler leur ‘’gémellité’’ : même profession, mêmes intérêts, grande proximité, alors qu’ils ont une grande différence d’âge. Je note que les enfants se battent au moment de cette évocation. Le pays d’où vient Civaloka et d’où proviennent les prénoms des deux enfants correspond à une passion partagée par les parents, pays qu’ils ont visité plusieurs fois avant d’aller chercher leur fille : « nous voulions un enfant de ce pays ». Est évoquée alors l’adoption de Civaloka, qu’ils ont vue peu de temps après sa naissance avant de pouvoir l’amener en France. Vishnou était tout petit et a participé à cette aventure familiale. Les histoires des parents sont abordées, en particulier par Mme T. qui parle de son « vrai père », c’est à dire un ami proche de ses parents, qui fut plus important que son propre père et à l’origine de sa passion pour l’Extrême-Orient. Cet ami considère Vishnou et Civaloka comme ses petits enfants. La question de l’adoption est reprise : envisagée dès leur rencontre comme un véritable projet de couple, projet très bien accepté par leurs deux familles. Vishnou dit alors ses regrets de n’être pas, lui aussi, un enfant adopté. Les séances sont très riches et animées, mais débutent en général par un silence inaugural de plusieurs minutes, créant un malaise que je ne comprends pas et qui me dérange. Les parents parlent ensuite beaucoup et les enfants participent, jouent ou s’agitent, ‘’lançant’’ parfois un objet, une expression ou une phrase qui paraît hors de propos, mais que les parents ne relèvent pas. C’est ainsi qu’apparaît un jeu de balle qui s’imposera dans les séances pendant de longs mois : à certains moments imprévisibles, Vishnou prend la balle dans le matériel mis à disposition et la lance violemment mais avec beaucoup d’adresse sur les murs de la pièce ; ce jeu répétitif, dangereux et perturbateur de nos échanges ne semble pas ou peu déranger les parents qui n’interviennent pas, alors que je suis perplexe et ‘’agacée’’ par ce scénario imprévisible et envahissant me renvoyant à des sentiments d’incapacité et d’impuissance. Le « Nipaucante » : un signifiant composite des histoires enfouies sous terre. Vers le 8° mois de cette TFP, alors que ‘’la balle’’ est toujours aussi présente et énigmatique, les parents parlent de leurs conflits de couple, très mal supportés par tous. C’est une ‘’zizanie’’ perpétuelle ; la mère évoque « une petite chose entre nous, toujours là, déjà avant les enfants, qui nous tient et nous sépare ». Vishnou est alors très agité et Civaloka, qui habituellement passe tout le temps des séances à décalquer des images choisies dans des livres, se met à dessiner avec beaucoup d’application et de difficultés un hippocampe qu’elle appelle avec insistance, malgré les corrections parentales, un « nipaucante ». Cette erreur agace les parents, les renvoient à leurs échecs et un véritable orage familial déferle sur la séance, ce qui paraît peu affecter Civaloka. Celle-ci reprend son dessin, transforme l’animal en oiseau, écrit « nipaucante »…et me le donne. Ce « nipaucante » apparaît alors comme un signifiant composite des histoires inaccessibles, enfouies sous terre. Peu de temps après, Civaloka entre en séance en chantant et j’entends : « les enfants ont aussi des rêves et des sentiments », puis « on a des parents préhistoriques… ». Vishnou, pour sa part, tient à me parler de son jeu électronique favori, que les parents qualifient « d’horrible », « atroce », « incompréhensible ». Je ne sais que faire de ces morceaux de discours, mais je perçois qu’il s’agit de fragments isolés et insensés d’une histoire inaccessible et je rassemble, contiens et relie verbalement ces éléments, sans aucune tentative d’interprétation. Le père évoque alors « sa génération », les jeux de son temps, puis une part de son histoire, signalant en particulier certains silences ou parties cachées de l’histoire de son grand-père paternel. Les enfants se sont mis à dessiner, ou plutôt à décalquer des images de livres. Civaloka fait peu à peu apparaître « un enfant dans une poussette qui regarde en arrière » et Vishnou a choisi la représentation « d’un petit bonhomme que l’on voit de dos et qui va décrocher la lune ». Puis tous les deux figurent des énigmes qu’ils me demandent de déchiffrer. Ce jeu, mais aussi des petits messages écrits souvent incompréhensibles me sont remis et vont occuper plusieurs séances. Nous sommes à 18 mois de TFP, après une période de vacances durant laquelle toute la famille est allée visiter des petits cimetières de campagne. La ‘’balle’’ s’impose après un silence inaugural, et je saisis cette occasion pour dire que la balle surgit toujours après un silence et vient figurer ici, en séance, ce qui ne peut être dit dans la famille, ce que l’on ne sait pas. Sous cette forme s’exprime ce qui est insupportable et perturbe les séances. Vishnou lance alors la balle ‘’par hasard’’ derrière un grand rideau qui frémit, ce qui amène à parler d’Aristide, le fantôme de la maison et à nommer Aristide II le fantôme de la TFP. J’apprends qu’un grand-père de Mme T., très âgé et malade va mourir. Les parents évoquent avec tristesse la « mémoire perdue », la perte « d’histoires enfouies sous terre, sous nos pieds » et inaccessibles – ce qui amène les enfants à faire le poirier (pieds en l’air) « pour faire tomber les pensées » et les récupérer dans un jeu. Puis, brutalement, Vishnou m’apprend qu’Aristide, le fantôme de la maison, a découvert « deux ovules » dans la cave…ce qui provoque une explosion de rires et une explication : les enfants, en jouant, ont trouvé des restes d’obus !! Quel lapsus !… Que font là ces restes du passé ? D’où et de quand proviennent-t-ils ? C’est un mystère….que je propose d’éclaircir ici. Les enfants vont inventer par la suite un jeu de détective qui occupera plusieurs séances et débouchera sur une histoire complexe de meurtre et de disparition dont serait accusé un enfant qui se transforme en « petit écureuil marron » (je vous rappelle que Civaloka a la peau très mate). Un peu plus tard, lors d’une séance où le père se plaint de maux de tête en rapport avec l’agitation des enfants et en particulier le jeu de balle de Vishnou – qui ne dure à cette époque que quelques instants, comme un rappel peu perturbateur – la mère dit que son mari a « l’air d’un petit vieux » ; un enfant ajoute : « il a la balle dans la tête » et l’autre reprend : « il a un petit vieux dans la tête ». Le père dit alors : « non, j’ai un trou dans la tête, le trou de ma dépression »….et me revient cette phrase de la mère, lors de notre première rencontre, pour évoquer l’arrivée des deux enfants ; « j’ai ainsi porté nos deux enfants en même temps, un dans mon ventre, l’autre dans ma tête ». Dans les séances qui vont suivre, peu à peu, un tissage se fait entre l’histoire familiale avec ses pages manquantes, ses secrets, ses oublis et les jeux ou dessins des enfants. Par exemple, Vishnou va s’appliquer à faire des « dessins artistiques » en précisant : « ce n’est pas quelque chose de réel, mais c’est imaginé ». Il dessine notamment « la chambre des fantômes » et imagine une histoire en précisant : « vous savez, les esprits ont peur du silence et du vide ; ils peuvent faire mourir, mais en silence. » A cette époque, les parents parlent de l’histoire familiale, racontent légendes et mythes d’Extrême-Orient et participent aux jeux et associations des enfants, dans une bonne circulation fantasmatique. La différence entre les histoires vraies et les histoires imaginaires est claire. Et comme par hasard, c’est à cette période que le père découvrit un cahier d’écolier où toute une partie de l’histoire non dite d’un grand-père était écrite, histoire où il serait question d’un enfant illégitime disparu en Extrême-Orient…. La tombe ou le cocon, figures de l’affiliation transgénérationnelle. Nous sommes maintenant à la fin de la 2° année de TFP. L’amélioration est manifeste, tant pour les enfants qu’au niveau du fonctionnement psychique groupal de la famille. J’envisage de terminer ce travail malgré la persistance de difficultés de type dyslexique, particulièrement pour Civaloka. Ces difficultés affectent le père, en particulier, qui évoque, lors d’une séance, en parlant de sa fille, une « pré-structure » en rapport avec ses origines et responsable de son échec scolaire. La mère réagit avec beaucoup d’émotion, et je remarque que les enfants font des dessins très figuratifs (ce qui n’était plus le cas depuis longtemps) avec des formes, des mots isolés, quelques visages grimaçants. Les parents entrent dans un échange vif et conflictuel et les enfants jouent avec les nombreux coussins de la salle. Peu à peu, ils construisent un véritable ‘’cocon’’ dans lequel Civaloka est « enfouie » puis « enterrée ». Le père lâche alors : « il y aura toujours le problème de ‘’l’atavisme’’ » ! Ce mot me glace et sonne pour moi comme un glas. Je suis saisie et reste silencieuse. Nous regardons, les parents et moi, la scène des enfants pendant un temps qui me paraît long. Civaloka ne bouge plus sous son amas de coussins. L’idée de la mort de cette enfant me traverse. Le père reprend le mot ‘’atavisme’’ et parle de « la part irréductible de l’adoption ». Les coussins bougent, Civaloka sort doucement, alors que mes pensées se succèdent : – est-ce une tombe ou un cocon ? – s’agit-il d’un enterrement ou d’une naissance ? – de l’apparition d’un fantôme, – ou de la résurrection d’un ancêtre inconnu ? – qu’est-ce qui va sortir de là ? – qui vient ou qui revient ? Jusqu’au « c’est moi » claironné et rieur de Civaloka. Je perçois une grande émotion dans notre groupe, chez les parents en particulier. Chacun fait part de ses associations et interprétations dans lesquelles naissance d’un enfant, mort et re-naissance d’un ancêtre s’entrecroisent. L’enterrement de l’ancêtre a-t-il permis la naissance du sujet enfant, la décondensation des mystères des origines, noués dans le contrat d’adoption, décondensation mise en scène dans le jeu ? Il a fallu que Civaloka naisse ancêtre pour être enfant de la famille. Le mot ‘’atavisme’’ a, semble-t-il, permis de figurer la part irréductible du transgénérationnel, inclue dans le lien d’adoption, permettant ainsi que se noue, dans la filiation, l’affiliation généalogique. « Il ne suffit pas de naître dans la famille, il faut aussi naître de la famille », dit R.Kaës. Cette séance, particulièrement émouvante, nous a amenés à envisager ensemble, peu de temps après, la fin de la TFP. QUELQUES REFLEXIONS. Le parcours rapide de cette TFP et les séquences retenues nous permettent de repérer le travail de transformation d’un certain type de matériel apporté par la famille et déposé dans le groupe thérapeutique. Certaines formes, figures ou ‘’objets bruts’’, présents mais ne pouvant être intégrés dans la chaîne associative et de signification qui se développe et se déploie dans le groupe thérapeutique, ont pu, grâce à un travail d’accueil et de liaison dans l’ici et maintenant des séances, bénéficier de transformations (changement de forme). Ce travail a permis que, sur la scène du néo-groupe, des éléments inaccessibles et masqués dans la concrétisation d’un mot ou d’un objet, et correspondant à des figures externalisées de certains nouages des liens familiaux, puissent être représentés et pris dans la chaîne associative groupale. Tout au long de la TFP, l’espace du groupe a été utilisé par la famille T. comme lieu de projection et de dépôt de fragments insensés. L’accueil et la reprise dans notre espace groupal, ont favorisé le travail de figuration, la mise en forme de nouages et de condensations, dans les liens familiaux, du négatif transgénérationnel avec ‘’l’inconnu’’ de l’adoption. La figure du double, de la gémellité (des enfants, du couple, des fantômes, puis de l’enfant/ancêtre) traverse les séances et exprime cet aspect. Des mots, des termes, puis des figures représentatives (décalques, fantômes…) ont précédé et favorisé des mises en scènes ludiques et un travail de mythopoïèse, tandis que ‘’la balle’’, sillonnait l’espace psychique du groupe, ‘’objet brut’’ et véritable signal rappelant et exprimant l’incompréhensible et le silence. Le jeu de balle de Vishnou semble avoir représenté, dans sa fonction phorique, les phénomènes de déliaison dans le groupe. La TFP a permis à la famille T. de retisser ses liens et de (re)trouver ses qualités et ses fonctions d’élaboration et de circulation fantasmatiques et la dernière séance présentée nous permet d’assister à l’aboutissement d’un poignant travail de mythopoïèse : l’enfant qui naît sort de la tombe des ancêtres. Ce travail a permis une décondensation de certains nouages aliénants des liens familiaux, en particulier dans le lien d’adoption. Dans ce cas, l’adoption fut une réponse à l’héritage transgénérationnel familial. Civaloka avait sa place dans la famille et la généalogie familiale dans la mesure où le lien d’adoption était porteur d’une part cachée de cet héritage. Est-ce la part qui, habituellement, se confond avec la génétique et qui se trouve, ici, enfouie dans le lien d’adoption ? Mais pour exister en tant que sujet, Civaloka a dû se dégager et marquer sa différence. Ce bouleversement semble avoir mis à mal le lien d’adoption et le contrat qui le fonde, et la TFP fut le lieu d’un re-tissage de certains mythes familiaux. CONCLUSION. Ce survol de certains aspects de la TFP d’une famille ayant adopté un de ses enfants nous permet de repérer le travail spécifique possible dans le « néo-groupe », travail de figuration puis de représentation d’éléments non élaborés et noués dans les liens familiaux, précédant l’élaboration de l’histoire et le tissage des mythes familiaux. Cet exemple nous permet d’avancer l’hypothèse que le lien adoptif correspond à une ‘’affiliation-filiative’’ qui se fonde sur le nouage inconscient des inconnus des origines de part et d’autre. L’enfant adopté vient répondre à une dette généalogique et il est parfois amené à figurer l’inconnu transgénérationnel. BIBLIOGRAPHIE GRANJON E. (1998) : « Du retour du forclos généalogique aux retrouvailles avec l’ancêtre transférentiel ». In Le Divan Familial, n°1. In Press Editions. GRANJON E. (2003) : « Souffrance familiale et TFP ». In Clinique et psychopathologie familiale. PUF. GRANJON E. (2006) : « La part des Ancêtres » EIGUER A., GRANJON E., LONCAN A. Paris Dunod KAES R. (1993) : Le groupe et le sujet du groupe. Edition Dunod. RUFFIOT A. et CIAVALDINI A. (1989) : « Le transfert matriciel et la censure thérapeutique primaire ». In Gruppo. Edition Apsygée.

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